20.2.13

Peintre des émotions enfouies


Anglais d’origine, Francis Bacon naît en Irlande (Dublin) le 28 octobre 1909 ou il passe ses seize premières années dans un climat familial tendu, peu de contacts avec sa mère et parfois trop avec son père. Le bonhomme, militaire et prompt au châtiment, le chasse d’ailleurs de la famille à 16 ans lorsqu’il découvre son homosexualité.

« Nous sommes des carcasses en puissance. Quand je vais chez le boucher, je trouve toujours surprenant de n’être pas là, à la place de l’animal. »

Dès lors, Bacon mène une vie de bohème à Berlin, Paris et Londres, où il retourne en 1929. Bacon y travaille comme décorateur et commence à peindre ses premières huiles et gouaches en autodidacte, influencé par Picasso, et Vélazquez à qui il rend hommage plus tard avec sa série des “Papes”. Il subit aussi l’influence de Buñuel, le cinéaste. Pendant des années, il se désespère de n'avoir aucun succès: il arrête plusieurs fois la peinture et détruit alors une grande partie de ses œuvres.

« Je crois que l'homme aujourd'hui comprend qu'il est un accident, que son existence est futile et qu'il doit jouer un jeu insensé. »

Bacon réalise ses quelques toiles en 1933, dont plusieurs "Crucifixions", présentées dans deux expositions collectives à la Mayor Gallery de Londres. Dès 1944, il se consacre uniquement à la peinture et commence à se faire connaître, notamment avec Trois études de figures au pied d’une crucifixion, un tableau d’une rare violence expressive. Ce triptyque est une œuvre à la fois expressive et très dure. Pourtant elle ne représente aucune action violente. Mais une certaines violence indéfinie marque cependant d'horreur les formes et les zones de couleurs qui les entourent. Les éléments humains et bestiaux des personnages sont mêlés dans une même déformation et interroge le spectateur sur leur sens. Cette peinture nous place donc dans un domaine inconnu, au frontière de la raison. L'œuvre est remarquée et provoque souvent des réactions violentes. Elle marque le début de la reconnaissance pour Bacon.


En Deux figures (1953), Bacon représente deux hommes dans un lit et cette peinture fait scandale. Il peint Une Etude d’après le Portrait du pape Innocent X de Velázquez en 1953 et un autoportrait en 1956.

Pour Bacon, la peinture ne sert pas à imiter la réalité apparente: elle doit être une action impulsive qui émane des besoins les plus profonds de l'homme et révèle ses sentiments. Ainsi son œuvre doit-elle faire apparaitre quelque chose qui vient de l'intérieur, cette masse complexe, multiple, contradictoire des émotions.

« Je mets toute ma vie dans la peinture. »

Au début des années 1960, l'artiste se lance dans la réalisation de portraits puis d'autoportraits. Cherchant à reproduire les émotions les plus enfouies, il métamorphose le réel en une représentation au-delà des apparences extérieures, dans le sens où elle lève le voile sur la réalité, plonge dans l'enfoui et fait revenir à la surface de ses peintures des sentiments complexes et puissants.

Bacon n'a jamais hésité à réinterpréter, parfois jusqu'à l'obsession, les chefs d'œuvre des grands maitres: Van Gogh, Rembrandt, Ingres font partie de ses références. Bacon tapisse son atelier d'images qui ont frappé sa sensibilité. Il s'entoure d'un nombre incalculable de reproductions photographiques découpées dans les journaux, arrachées dans des livres, masse chaotique d'influences où il aimait travailler.

Francis Bacon devient célèbre avec son style bien particulier, celle de la déformation de l’image humaine et crée une esthétique de l’angoisse et de l’isolement.


Francis Bacon, Autoportrait, 1976. Huile et pastel sur toile. Musée Cantini, Marseille
Bulle d'Art: Autoportrait de Francis Bacon, présenté par Maëlle Fouilland, Artkom-Mitki, [c. 2009].

En 1962, une première grande rétrospective de l’œuvre de Francis Bacon à la Tate Gallery de Londres, suivit en 1963 d’une autre rétrospective au Guggenheim Museum de New York et en 1971 une autre au Grand Palais de Paris. Les vingt années qui suivent Bacon expose dans le monde entier.

Bacon connaîtra le succès jusqu’à sa mort à l’âge de 82 ans en 1992 : au cours d’un séjour à Madrid, il contracte une pneumonie due à son asthme. Aujourd'hui Bacon est considéré, avec Picasso, comme l’un des plus grands artistes peintres du XX ème siècle. Bacon bâtit une oeuvre violente et déchirante triturant la figure humaine qu’il peignit pourtant exclusivement, sans chercher l’abstaction si chère à son époque. Bacon est resté un électron libre, il est écarté par les surréalistes et il rejetait autant la figuration imitative (mimesis). Il considérait l’abstraction pure comme décorative.

Ses peintures les plus violentes restent dérangeantes et parfois inaccessibles, tant dans les poses des corps (dis)tordus ou écrabouillés que dans la matière, décomposée ou écorchée. Ses oeuvres provoquent des réactions extrêmes, souvent d’intensité, tant elles sont violentes et expressives. Sa peinture, s’est très vite imposée comme une oeuvre incontournable.

Aucun artiste du XXè siècle n'aura su exprimer mieux que Bacon dans sa peinture la tragédie de l'existence. En effet, la tragédie de l'Homme moderne devient dans son œuvre une réalité visible et bouleversante. Son œuvre nous confronte brusquement à ce mélange de violence, d'angoisse, de désir, de désespoir, de déchéance, d'abjection... et de beauté qu'est l'existence. Ainsi Bacon brandit-il face à nous un miroir permettant de prendre conscience de notre condition humaine au sein du monde actuel.

Étude pour une corrida n° 2
1969
Huile sur toile, 198,3 x 147,5 cm.
Musée des Beaux-Arts, Lyon
"Fascination, effroi, étourdissement. Bacon plante ses pinceaux dans nos âmes." Hervé

CITATIONS

Je crois que l'homme aujourd'hui réalise qu'il est un accident, que son existence est futile et qu'il a à jouer un jeu insensé.

Il est fréquent que la tension soit complètement changée rien que de la façon dont va un coup de pinceau. Il engendre une forme autre que la forme que vous êtes en train de faire, voilà pourquoi les tableaux seront toujours des échecs soumis au hasard et à la chance, à l’accident, à l’inconscient. Il s’agit alors de l’accepter ou de le refuser. Une nouvelle vérité, insoutenable, surgit.

La peinture ne saisira le mystère de la réalité que si le peintre ne sait pas comment s'y prendre.

Si on peut le dire, pourquoi s'embêter à le peindre?

L'avenir de l'art se trouve peut-être dans les dossiers de la police et les journaux intimes.

Highly controlled chaos.

I feel at home here in this chaos because chaos suggests images to me.

Je n'ai jamais su pourquoi mes peintures sont considérées comme horribles. J'ai toujours été marqué par l'horreur, mais je n'y pense jamais. Le plaisir est une chose si multiple... et l'horreur aussi.

La vie est cruel.*

Il faut déformer la vie pour atrapper la réalité [et pour mieux la rétrover].

Il est vrai que... chaque jour dans la glace je vois la mort au travail, c'est une des plus jolies choses qu'ait dite Cocteau.

Mes tableaux sont toujours très difficiles à vendre.*

Ma peinture est le reflet de ma vie.


* Thierry Ardisson et Franck Maubert interviewent Francis Bacon en français sur sa peinture, Bains de Nuit, INA France, 9 octobre 1987.


Une beauté terrible (A Terrible Beauty). Bacon : l'atelier et les sources d'inspiration à Hugh Lane City Gallery, Dublin, octobre 2009 - mars 2010.

No comments:

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...